NOVEMBRE 2016

En Mer de Chine méridionale…

par Pascal TRAN-HUU


Portant le nom d’un capitaine de baleinier du XIXe siècle, les Spratly sont un archipel de minuscules îlots et récifs de corail situés au cœur de la mer de Chine méridionale, à 1 500 kilomètres des côtes chinoises, 400 des côtes vietnamiennes et environ 300 des côtes philippines ou malaisiennes. Plus qu’une zone géographiquement précise, il s’agit d’un espace où s’expriment aujourd’hui les rapports de forces entre les pays d’Asie du Sud-Est et d’Asie de l’Est. Ainsi, par exemple, en octobre 2015, les Etats-Unis avait envoyé l’USS Lassen, à moins de 12 miles (22 kilomètres), d'un îlot artificiel construit par Pékin dans l'archipel des Spratly entraînant le « fort mécontentement » et « l’opposition » de la Chine.

Depuis l’US Navy a envoyé, à intervalles réguliers, 1 ou plusieurs navires dans cette zone. Le dernier en date fut le USS Decatur en octobre 2016…

25 février 1992 : le Parlement chinois adopte une loi maritime qui place la plus grande partie de la mer de Chine méridionale sous sa souveraineté. Pékin s’approprie ainsi une zone triplement stratégique : elle a d’importantes ressources en hydrocarbures, elle est située sur le passage de grandes voies maritimes internationales, et elle est revendiquée partiellement ou totalement par six autres Etats (Indonésie, Vietnam, Malaisie, Brunei, Philippines et Taïwan).

Tel qu’il est défini par l’article 2 de la nouvelle loi, le territoire chinois comprend désormais les îles Senkaku (selon l’appellation chinoise, Diaoyutai), Paracel (Xisha) et Spratly (Nansha). (« Article 2 The territorial sea of the People's Republic of China is the sea belt adjacent to the land territory and internal waters of the People's Republic of China. The land territory of the People's Republic of China includes the mainland of the People's Republic of China and its coastal islands; Taiwan and all islands appertaining thereto including the Diaoyu Islands, the Penghu Islands; the Dongsha Islands; the Xisha Islands; the Zhongsha Islands and the Nansha Islands; as well as all the other islands belonging to the People's Republic of China. The waters on the landward side of the baselines of the territorial sea of the People's Republic of China constitute the internal waters of the People's Republic of China.») La République populaire exerçant sa souveraineté sur sa mer territoriale (12 milles nautiques) et les zones contiguës (12 milles nautiques), l’ensemble couvre dès lors la plus grande partie de la mer de Chine méridionale et de ses ressources. L’enjeu économique est de taille en raison des considérables ressources halieutiques qui font vivre les populations de la région, mais surtout des ressources énergétiques que les fonds marins sont susceptibles de détenir, même si personne n’est en mesure de chiffrer exactement leur ampleur. 


Haiphong, au Vietnam, le 21 octobre 2011. Un marin découvre une maquette de Truong Sa lon, île des Spratley revendiquée par Hanoï.© AFP PHOTO/HOANG DINH Nam
L'archipel des Spratly fait l'objet d'une âpre rivalité entre la Chine populaire et plusieurs Etats dont Taïwan, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et Brunei. La possession de ces îles a été revendiquée dès 1909 par la Chine mais elles furent annexées par le gouvernement colonial de la Cochinchine en 1933. Cependant, durant la Seconde Guerre mondiale, l'archipel est occupé par le Japon qui y établit une base pour ses sous-marins. Au lendemain de la défaite nippone, seul le gouvernement nationaliste de Taïwan s'intéresse à cet archipel en y entretenant une garnison de 400 hommes.

C’est au cours des années 1960 que le conflit territorial des Spratly prend de l'ampleur quand les Philippines s'emparent de plusieurs îles. A son tour, en 1973, le Vietnam qui revendique sa souveraineté, se fondant sur la décision française de 1933, expédie des soldats dans cinq îles alors qu'il perd le contrôle des Paracel. Dans les années 1980, la Malaisie occupe à son tour quatre îles et le conflit dégénère quand la Chine communiste intervient militairement face au Vietnam. Ainsi, le 14 mars 1988, une bataille navale entre la Chine populaire et le Vietnam se solde par la mort de 64 marins vietnamiens et la perte de trois navires.


Dans le port de Danang, au Vietnam, le 23 avril 2012. Le drapeau vietnamien est hissé sur le navire de guerre américain, « USS Blue Ridge ». © AFP PHOTO/HOANG DINH NAM
Depuis cet évènement, les relations entre la Chine et le Vietnam n'ont eu de cesse de s'envenimer. Le 24 juillet 2014, le président de la République socialiste du Vietnam, Truong Tân Sang affirmait ainsi que : « Pour tout Vietnamien, la souveraineté territoriale est inviolable. […] Notre peuple, notre Parti et notre Etat ont suffisamment de volonté, de vaillance, et de détermination ainsi que de bases historiques et juridiques pour défendre la souveraineté nationale.

Il est inacceptable qu'un pays puissant [la Chine] ne respecte pas la morale et la justice. Durant des milliers d'années, notre peuple a lutté avec vaillance contre les envahisseurs pour défendre la Patrie » et d’enfoncer le clou en affirmant que « Dans cette récente affaire, peu de pays et d'organisations internationales soutiennent la Chine et l'implantation illégale de sa plate-forme de forage Haiyang Shiyou-981 en pleine zone économique exclusive et sur le plateau continental du Vietnam, ainsi que les revendications absurdes de la Chine sur la ligne dite de la « langue de bœuf ». Les preuves historiques et juridiques montrent que la justice est de notre côté. La communauté internationale a une attitude assez claire dans cette affaire. »

Pour bien comprendre la position vietnamienne, je ne saurai trop vous conseiller de lire la « Lettre ouverte d’un Vietnamien aux Chinois de bonne volonté » qu’a écrite Nguyên Huu Tan-Duc et publiée sur le site d’ « Eglise d’Asie ». Véritable dossier rigoureux et pratiquement exhaustif et se référant sans cesse à des documents historiques et des travaux, l’auteur s’engage avec passion dans la défense de la cause de son pays. A lire, ne serait-ce que pour la leçon d’histoire comme le montre cet extrait, qui explique aussi l’issue de la guerre d’Indochine : « Il y a tout juste un siècle, lors de la réception donnée en son honneur au Japon, le premier président de la République de Chine, Sun Yat Sen, émit l’idée que, pour avoir subi dix siècles de domination chinoise, les Yuè (Viêt), devenus un peuple d’esclaves, ne seraient jamais « bons pour l’indépendance ». Ce à quoi son hôte japonais Kitsuyoshi rétorqua qu’au contraire, les ancêtres des Vietnamiens furent la seule des Cent Tribus Yuè (Bâi Yué / Bách Việt, IV-IIIes siècles avant notre ère) à s’opposer avec succès à la sinisation forcée pour gagner de haute lutte leur indépendance vis-à-vis des Han, à la différence de toutes les autres tribus qui furent totalement absorbées dans l’orbite chinoise. » Le 12 juillet 2016, la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye a tranché en faveur des Philippines. Dans son communiqué elle indique que « Le tribunal juge qu’il n’y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l’intérieur de la ligne en neuf traits ». Les juges ont estimé que même si la Chine a utilisé « historiquement » les îles de la région, il n'y a pas de preuve qu'elle a toujours « exercé un contrôle exclusif sur les eaux et leurs ressources », et que le bétonnage et la présence de personnel chinois sur des îlots ne suffit pas à leur donner le statut d'îles habitées. De plus, les juges relèvent que « les navires de la force publique chinoise ont commis des actes illicites et ont provoqué des risques sérieux d’abordage lorsqu’ils ont bloqué physiquement les navires philippins », et que Pékin a manqué à ses obligations de préserver et protéger les écosystèmes délicats en pêchant et construisant illégalement. Bien évidemment, la Chine a réagi avec fureur, réaffirmant ses droits historiques sur la région et lançant des menaces à peine voilées notamment contre Washington. « Ne faites pas de la mer de Chine méridionale le berceau de la guerre », a lancé le vice-ministre des affaires étrangères chinois, Liu Zhenmin, qualifiant la sentence d’arbitrage de « papier bon à jeter ». Le communiqué du ministère est clair : « Le Ministère des Affaires étrangères de la République populaire de Chine déclare solennellement que la sentence est nulle et non avenue et n'a pas de force obligatoire et que la Chine ne l'accepte ni ne la reconnaît. »

Pour faire bonne mesure, Pékin a, dès le 13 juillet, mis en garde contre les risques de conflit en mer de Chine méridionale et a menacé d’y créer une zone de défense aérienne montrant, ainsi, le peu de cas qu’elle faisait du jugement de la CPA. Ce conflit, latent, en Mer de Chine Méridionale est dupliqué, plus au nord, en Mer de Chine Orientale où la Chine est confrontée, principalement, au Japon. Deux pays alliés des Etats-Unis se disputent deux minuscules îlots que les Coréens (du sud) appellent Dokdo, les Japonais Takeshima et les pays tiers (afin de ne pas prendre parti) Liancourt Rocks, chacun avec de solides arguments (voir sur les sites coréens et japonais). A noter que Google Maps a tranché puisque la firme de Mountain View reconnait Takeshima et Liancourt mais pas Dokdo (il est vrai que Dokdo apparaît lorsque l’on recherche Liancourt).

Wikipédia décrit ces rochers ainsi « Les rochers Liancourt, également appelés Dokdo (독도) en coréen, ou Takeshima (竹島) en japonais, sont un petit groupe d'îlots situé en mer du Japon (ou mer de l'Est), contrôlés par la République de Corée mais dont la souveraineté est contestée par le Japon. Ils sont aujourd'hui rattachés par l'administration de la Corée du Sud à l'île d'Ulleungdo, distante de 87 km, dans la région du Gyeongsang du Nord. Le Japon considère pour sa part que ce groupe d'îlots fait toujours partie de son territoire, et le rattache au bourg d'Okinoshima (en), dans l'archipel Oki, distant de 157 km, dans la préfecture de Shimane. » Le 10 août 2015, le président de la Corée du Sud, Lee MYUNG-BAK, a irrité les Japonais en se rendant sur les îlots contestés afin de réaffirmé l’appartenance de ces îles à la Corée du Sud.

Les rochers Liancourt. Sur cette photo, on peut distinguer le quai et la base coréenne au sommet


Formation de F-16 sud-coréens au-dessus des Rochers Liancourt
Le gouvernement japonais a immédiatement réagi en convoquant l’ambassadeur de la Corée du Sud à Tokyo et en rappelant son ambassadeur à Séoul. Le Ministre des Affaires étrangères japonais, Koichiro GEMBA, a déclaré à l’agence REUTER que cette visite était inacceptable au regard de la position japonaise à propos de ces îles (« The visit to Takeshima by President Lee is unacceptable in light of Japan's stance on this issue, »).

Officiellement, 900 Coréens ont déclaré être résidents de ces îlots et 2000 Japonais ont fait la même déclaration… Les rochers Liancourt sont habités par un couple de Coréens mais une garnison d’une quarantaine de soldats et policiers y est établie. Plus au nord, ce sont 4 îles, considérées comme russes, de l’archipel des Kouriles qui sont revendiqués par le Japon…L’Archipel contrôle le débouché de la Mer d'Okhotsk vers le Pacifique. »

Le soutien américain envers les pays « opposés » à la Chine, notamment à travers le TPP (Partenariat Trans-Pacifique), s’apparente, pour beaucoup, comme une stratégie antichinoise or les pays limitrophes de la Chine ont un besoin urgent d’institutionnaliser leur relation avec la Chine, plutôt que de se lancer dans une politique de confrontation avec le pays qui est la principale locomotive économique de la région, et cela passe par l’ASEAN…

Il faudrait, du reste, se poser la question de savoir comment les Américains réagiraient si les Chinois envoyaient un bâtiment de guerre, le USS LASSEN, au large de l'atoll Johnston pour contester son annexion, par les Américains, en vertu du Guano Islands Act !

Pour l’anecdote, le USS LASSEN a été baptisé en hommage au Capitaine de Frégate Clyde Everett Lassen qui a reçu la Médaille d’Honneur pour avoir secouru, en 1968, deux aviateurs américains pendant la guerre du Vietnam… Signe discret ou coïncidence ?


P.T.-H.

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