JUILLET - AOÛT 2017

De l’Empire des Tsars à la fin de l’URSS

par Alexandre WATTIN


DE L’EMPIRE DES TSARS …

Le continent eurasiatique apparaissait comme une plaine sans fin, fermée au Nord par l’Arctique et au sud par une série de grand lacs et de chaines de montagnes ces caractéristiques géographiques expliqueront deux constantes de la politique extérieure et de défense des autocrates qui gouverneront la Russie : une hantise de sécurité face aux puissances de l’Europe centrale, puis ultérieurement dans l’extrême sud-est, face à la Chine d’abord au Japon ensuite en l’absence d’une frontière naturelle, une voie d’accès aux mers libres et chaudes, avec un effort prononcé en direction de la méditerrané, via le Bosphore et ultérieurement vers l’Océan Indien.

L’impulsion naturelle est donc l’expansion qui prend sa source depuis le 10ème siècle à partir du Royaume de Kiev en s’exerçant d’abord vers la Sibérie. Cet expansion territoriale et la diversité des races et des religions qu’elle absorbe, induit l’obligation des autocrates de donner coûte que coûte un ciment et une unité à l’empire. Le premier acte de cette volonté est la conversion du Grand Prince Vladimir, en 998, au christianisme byzantin, qui lui fournit, par son organisation hiérarchique et sa soumission au pouvoir temporel, une religion nationale et l’indispensable ferment d’unité.

L’expansionnisme russe connaitra un arrêt brutal à partir de la prise de Kiev en 1240 et jusqu’au 15ème siècle, par la domination des Tatars–Mongols. C’est Ivan III le Grand, qui mettra fin à cette domination, mais ce n’est qu’au 16ème siècle que reprendront les conquêtes avec la prise de Kazan par Ivan le Terrible, ainsi les rives du pacifique seront atteintes en 1650. 

Auparavant la mainmise du pouvoir central à la fois sur le domaine temporel et spirituel va culminer avec la promulgation du code de 1649 qui précise les pouvoirs du souverain et les devoirs envers l’état des hommes de service, institutionnalisera le servage des paysans et régentera les rapports entre elles des catégories sociales. Le servage et la pression démographique trouveront leur exutoire dans la conquête de l’Est, qui accentuera le caractère continental et pluriethnique de la Russie.

Pierre le Grand (1689-1725), qui proclamera l’empire en 1721, puis Catherine (1762-1796) vont poursuivre l’expansion. L’effort s’exercera vers la Baltique et la Pologne, qui deviendront un protectorat russe après les trois partages de 1672, 1693 et 1695 puis vers le Caucase, au détriment des empires Ottoman et Perse. En 1770, la flotte russe de la Baltique pénètre pour la première fois en méditerranéen et les conquêtes s’accroissent : La Crimée est annexée, puis la Géorgie, l’Arménie orientale et la Bessarabie, qui permet le contrôle du Delta du Danube. EN 1815, le Congrès de Vienne reconnait implicitement au Tsar Alexandre 1er le rôle d’arbitre de l’Europe. 

Ainsi sont réunis, dès le début du 18ème siècle, tous les facteurs de puissance de la Russie, puis de l’union soviétique du 20ème siècle :


  • La sécurité face à l’ouest et à l’extrême sud-est
  • L’accès aux mers libres avec comme objectif le delta du Danube et le Bosphore au sud, la Baltique au nord l’océan indien au sud est
  • L’unité et la cohésion, par un double effort de coercition administrative et sociale et d’emprise spirituelle 


La révolution d’octobre 1917 n’introduira aucune discontinuité dans la politique de l’Empire, sinon que le marxisme léninisme, comme religion officielle se substitue à l’orthodoxie et que certains facteurs de faiblesse sont accentués en raison, du progrès technique qui facilite, la permanence et la rigueur de l’arbitraire et du contrôle bureaucratique exercé sur la culture, la politique et l’économie. Il s’agissait de préserver l’empire de la contagion du libéralisme et de la démocratie. L’union soviétique, dont l’économie est largement militarisée, était ainsi maintenue dans un isolement dangereux et dans un conservatisme dont les effets sclérosants ne seront diagnostiqués et corrigés qu’au moment même où ils entrent dans une phase fatale. La démesure de l’Union, notamment dans le domaine militaire, qui absorbe près de 25 pour cent de son budget, ses succès en matière aéronautique et spatiale, l’extension de son influence en Afrique et au Moyen orient ont longtemps occulté le délabrement intérieur. La malheureuse campagne d’Afghanistan ébranlera l’empire.


…. À LA FIN DE L’URSS

Dès les années 1970 l’URSS était confronté à l’essoufflement technologique face à l’initiative de défense stratégique américaine, le désastre d’une économie bureaucratique et l’échec humain et social du marxisme léninisme avaient contraint l’URSS à s’ouvrir d’avantage au monde extérieur et à prendre le risque d’une implosion. Atteinte de gigantisme et d‘inertie, L’URSS mourrait. Les évènements de Berlin en 1989 puis la réunification allemande en 1990 provoqueront une rection en chaine dont les effets seront immédiatement ressentis. Ainsi le démantèlement du rideau de fer signera la fin des gains de territoires opérés par Staline ainsi que le contrôle de l’Europe central grâce aux accords de Potsdam de 1945. Gorbatchev tentera vainement d’enrayer la décomposition de l’empire, mais sans succès. Depuis son accession au pouvoir Mikhail Gorbachev s'applique à réduire drastiquement les effectifs et le poids économique de l'armée soviétique. Après le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan, la réduction des forces stationnées en Europe de l'Est est rapidement menée, laissant les gouvernements socialistes en place face à leur destin. 

Cette situation, parmi bien d’autres, générera l’antagonisme politique entre le camp des réformateurs et celui des conservateurs ; ces derniers exigent un retour à l’ordre ancien. L’abolition en mars 1990 de l’article 6 de la Constitution soviétique de 1977, sur le rôle dirigeant du parti communiste, et la rapide désintégration de l’Union soviétique, à travers la proclamation d’indépendance de certaines de ses républiques ne sont pas acceptés par les brejnéviens. Aussi, l'absence d’intervention armée contre les troubles dans les pays satellites et les sécessions successives au sein des Républiques socialistes ont permis leur libéralisation que l’armée soviétique a auparavant empêchée en 1953, en 1956 et 1968.

En effet dès mars 1990, la Lituanie est la première à braver Moscou et à choisir la voie de la sécession. Progressivement les autres républiques annoncent leur intention de l’imiter, ce qui mène à une période ininterrompue de défis au pouvoir moscovite. Dans un sursaut d’autoritarisme Gorbatchev tente vainement d’appliquer à Vilnius la vieille recette de la répression, mais la réprobation internationale l’oblige à céder. 

La crise polonaise, la chute du mur de Berlin, provoquent une réaction en chaine dont les effets sont loin d’être amortis. Avec le démantèlement du rideau de fer, c’est l’œuvre de Staline qui est défaite1 aussi le projet de signature de Traité de l’Union2, qui doit être signé le 20 août 1991 symbolise pour les conservateurs et une partie du corps des officiers généraux soviétiques, non seulement une trahison mais une capitulation. Pour l’ensemble des conservateurs ces bouleversements fléchissent la position de l’URSS au niveau international et transforment la donne politique et stratégique en Europe. Nombreux sont ceux qui ne peuvent accepter de voir l’URSS perdre sa puissance. Il n’est donc pas surprenant que des divisons se cristallisent entre les principaux responsables militaires de la haute hiérarchie soviétique. 

Deux clans s’affrontent fermement, d’une part les Gorbatcheviens3 et en totale opposition se trouvent les tenants d’une ligne dure, nostalgique et brejnévienne, où l’Armée soviétique jouissait d’un respect et d’un prestige incontestés. Pour eux Perestroïka rime avec la destruction des acquis du marxisme léninisme et la fin des privilèges de la nomenklatura néo-brejnévienne4. Rien de surprenant que plusieurs généraux arrêtent des plans d’exécution militaires d’un coup d’état à l’issue d’une réunion conspirative au ministère de la défense5. 

Mikhaïl Gorbatchev en fera les frais durant ses vacances en Crimée. Il voit débarquer le 18 août 1991 une délégation de conjurés le relevant de ses fonctions et le séquestrant. G. Ianaev, vice-président de l’URSS, hostile à la désintégration de l’URSS, a décidé de remplacer Gorbatchev. Il signe avec V. Pavlov, premier ministre de l’URSS et O. Baklanov, premier vice-président du Conseil de défense, une déclaration justifiant la démission du secrétaire général par une incapacité d'exercer ses fonctions pour des raisons de santé, et proclament l'état d'urgence6, rétablissent la censure et font entrer les chars à Moscou. 

Le groupe Alpha7, unité d’élite du KGB initialement créée pour la lutte contre le terrorisme, doit prendre d’assaut le parlement de Russie avec les unités OMON8, mais les évènements ne se déroulent pas comme prévu. 

En effet, le Général commandant du groupe Alpha refuse d’exécuter l’ordre reçus de son supérieur, le président du KGB, d’attaquer la « Maison blanche 9». Quant aux unités déployées dans les rues de Moscou elles ne semblent pas avoir reçu l'ordre de tirer sur la population, mais simplement de protéger celle-ci en se déployant10.

Le lendemain du putsch, Boris Eltsine président de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, tout juste élu deux mois auparavant, signe un décret selon lequel la déclaration du Comité de l’état d’urgence est anticonstitutionnelle et qualifiée de coup d’état. Tous les pouvoirs exécutifs du pays sont placés sous son autorité et il constitue un gouvernement de crise. 

Après que Boris Eltsine11 monte sur un char, et appelle les militaires comme les civils à défendre le pouvoir légitime, la majorité des unités OMON et de l'armée passent du côté des partisans et fraternisent avec la foule. Le putsch est voué à l’échec, les membres du « Comité » capitulent le 21 août et le lendemain tout est fini. L’impression générale qui se dégage de cet évènement est l’impréparation, voire l’improvisation.

Mené par une frange minoritaire du haut commandement de l’armée soviétique le putsch n’obtient aucun soutien des troupes stationnées à l’étranger et tout particulièrement celui des forces en Allemagne. 

L’échec du coup d’état sera un accélérateur de la démocratisation et de la fin du régime.12Boris Eltsine, en position de force, décrète la dissolution et l'interdiction du parti communiste de l'Union soviétique et de l'URSS13. L'autorité de l'Union soviétique cesse pratiquement de fait sur les Républiques, et le 8 décembre 1991, le document entre la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie, déclarant la dissolution de l'URSS et la création de la Communauté des États indépendants (CEI) est signée et conduit progressivement, à la chute officielle de l’Union Soviétique14. Mais sur les décombres de l’URSS renaissait la Russie !


A.W.


1 Les gains de territoire opérés à la faveur du pacte germano-soviétique du 23 aout 1939, avait permis à Staline d’annexer quelques 700 000 km2 (les trois États Baltes, la partie occidentale de la Pologne, la Bessarabie et la Bukhovine du nord) et le contrôle de l’Europe centrale grâce aux accords de Potsdam de juillet/aout 1945 s’effritent. 


2 L'Union des États souverains, fut une proposition de Mikhaïl Gorbatchev de refonder l'Union des républiques socialistes soviétiques dans une nouvelle fédération, beaucoup plus lâche que la précédente. Le traité en question, présenté comme une refondation de l'Union soviétique, devait remplacer celui de 1922 qui avait institué même la création de l'URSS. Ce traité a donné lieu à l'unique référendum de toute l'histoire de l'URSS. Il s'est tenu le 17 mars 1991 sur la question suivante : « Pensez-vous qu'il est essentiel de préserver l'URSS sous forme d'une fédération renouvelée de républiques souveraines et égales où les droits et les libertés de chacun, quelle que soit la nationalité, seront pleinement garanties ? ». 76,4 % des électeurs répondent « oui » dans les neuf républiques où a lieu la consultation. En effet, six républiques (l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, l'Arménie et la Géorgie), refusent d'y participer. La nouvelle Union devait donc être constituée avec seulement neuf des quinze républiques de l'ancienne Union des républiques socialistes soviétiques.


3 Avec pour principal représentant le Général d’Armée Moissev, chef d’état-major général et principal conseiller militaire de Gorbatchev qui comptera sur le soutien de toute une génération de militaires moins dogmatique, et désormais majoritaire parmi les principaux officiers généraux. Ainsi que des membres du Soviet Suprême à l’origine de la Perestroïka qui collaboraient avec les éléments les plus progressistes du KGB. 


4 Les représentants de cette mouvance se regrouperont en 1991 dans le Mouvement Patriotique Populaire, créé par le Général Varennikov, commandant en chef des forces terrestres et le général Gromov vice-ministre de l’intérieur. Ce sera sur cette mouvance que s’appuiera le comité pour l’état d’urgence (voir infra) pour susciter le Putsch. D’autres groupes alimenteront également ce courant composés d’officiers supérieurs membres du Sojuz, mouvement communiste ultraconservateur auquel se rattachaient des officiers généraux dont le Général Makarov commandant en chef de la région militaire de Transcaucasie, le général Samsonov commandant la région militaire de Leningrad et le général Kalinine la région militaire de Moscou. 


5 Les opérations seront conduites par les généraux Maltsev, commandant la DCA Soviétique, Densov chef des opérations de l’état-major général et Ianssinki du KGB.


6 Pour assurer la direction du pays et l’application de leur décision sera fondé un Comité d’État pour l’état d’urgence, composé des trois personnes mentionnées précédemment, ainsi que de V. Krioutchkov, président du KGB, de B. Pougo, ministre de l’intérieur, du ministre de la défense et de deux autres membres sans portefeuille ministériel. 


7 ALFA est une force spéciale du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, spécialisée dans la lutte anti-terroriste (sauvetage des otages, tireurs d'élite, protection personnelle, détournements d'avion). Faisant suite à la Prise d'otages des Jeux olympiques de Munich en 1972, le groupe A est fondé par le KGB en 1974. Son existence n'est révélée que dans les années 1990. Ses effectifs sont estimés à environ 700 hommes. Il a notamment participé à la libération de quatre diplomates soviétiques en 1985. Il a exécuté les proches des preneurs d'otages, ne leur laissant pas d'autre choix que de libérer les otages. 


8 OMON ou Détachement de la milice à vocation particulière, est le nom générique pour désigner les unités de forces spéciales du ministère de l'intérieur russe et anciennement de l'URSS. 


9 La Maison blanche est le bâtiment qui abrite le gouvernement russe. Le bâtiment est situé au centre de la capitale Moscou. Lors des sessions de travail, les ministres s'y réunissent sous la présidence du chef du gouvernement. Le bâtiment a hébergé le Congrès des Soviets et le Soviet suprême, puis le Congrès des députés du peuple de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) jusqu’à la crise constitutionnelle de 1993.Lors de ces événements, un siège a été tenu et le bâtiment a été endommagé par des tirs d'artillerie, causant un important incendie. La Maison blanche de Moscou est l'un des plus grands palais moscovites, mais il s'agit aussi de l'un des lieux les plus fermés et les plus gardés de la capitale. Le chef du gouvernement, en plus d'y travailler, peut y résider de façon provisoire, bénéficiant à cette occasion d'un appartement aménagé pour des situations exceptionnelles.


10 Il est à noter que bien qu’engagées dans l’opération, des éléments des deux divisions blindées de la garde qui assuraient la protection de Moscou et la division Dzerjinski, division d’élite du KGB, qui avaient dépêché 3 bataillons, resteront en retrait durant les évènements.


11 Boris Eltsine était un homme d'État russe, président de la Fédération de Russie de 1991 à 1999. Le 29 mai 1990, il est élu président du Soviet suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, ce qui fait de lui le premier président non communiste d'une République soviétique. Il joue un rôle-clé l'année suivante dans l'échec du putsch de Moscou, et marginalise ensuite Mikhaïl Gorbatchev : son action conduit, en quelques mois, à la dissolution de l'Union soviétique. Il devient ensuite le premier président de la Fédération de Russie. Il est réélu pour un second mandat en 1996 dans des conditions polémiques. 


12 Boris Eltsine convoquera Mikhaïl Gorbatchev le 23 août au Parlement russe afin de l’humilier publiquement pour son attentisme face aux événements. Acculé, Gorbatchev sera contraint le lendemain de démissionner de ses fonctions de Secrétaire Général du Parti Communiste et de dissoudre le Comité Central. En effet, loin de restaurer la grandeur soviétique les événements du mois d’août 1991 précipiteront, le processus des déclarations d’indépendance au sein des républiques qui composaient l’U.R.S.S. (Arménie le 23 août, Ukraine et Biélorussie le lendemain...) et l’écroulement presque total du système soviétique. 


13 Le 26 décembre 1991, l'Union soviétique est officiellement dissoute et remplacée par la Communauté des États indépendants. 


14 À l’issue de la fin de l’Union soviétique, l'Armée sera démantelée entre les différents nouveaux États, selon l'origine nationale des contingents. Fin 1992, les reliquats de l'Armée soviétique stationnés dans les Républiques avaient été dissous et les dernières forces basées en Europe et dans les pays baltes seront retirées progressivement de 1991 à 1994. Les militaires russes, de loin les plus nombreux, constituèrent alors les forces armées de la fédération de Russie qui hérita de la majorité de l'équipement, en particulier la totalité de l'arsenal nucléaire de l'ex-Armée soviétique.

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