JUILLET-AOÛT 2016

Petit billet de rigueur sur le Brexit, what else ?

par Karine BECHET-GOLOVKO


Le oui l'a remporté, mais l'on nous explique que les Anglais sont désespérés, que c'est tragique pour le pays, qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Père, pardonne-leur ! En effet, comment oser dire non à l'UE, à son avenir glorieux, à ses routes pavées d'euros, à sa City fleurissante, à ses horaires dérégulées et à son SMIC remis au placard avec les fichus de mémé. Comment lui dire non ? Im-pen-sable. Alors imaginez un instant que les Anglais aient réellement voulu sortir de l'UE ? Bouhhh, j'en ai des frissons dans le dos, comme toute la presse française.

Les titres de notre bonne presse nationale sont d'une originalité digne des grandes heures du bolchévisme. « Le jour d'après... » lit-on ici et là. Sans oublier le « choc historique », car évidemment l'UE est une très vieille institution européenne qui était vouée à l'éternité, qui en doutait?
Entre les « ils vont tomber de hauts », les « on nous a volé notre pays », l'objectivité de la presse est, comme à son habitude, infaillible. Prenons un article du journal Le Monde, en grande forme:
« C’est un spectacle merdique. Nous sommes tous devenus un peu plus pauvres ce matin », résume Peter, 45 ans, un banquier de la City, où l’on craint de voir partir des milliers de banquiers pour d’autres places européennes. Vendredi matin, Peter criait « vendez ! » (de la livre sterling) à ses collègues, en constatant que David Cameron, qui a voulu ce référendum et échoué dans sa campagne en faveur du « Remain », s’apprêtait à annoncer sa démission, devant le 10 Downing Street, la résidence du premier ministre. « Sa femme [Samantha Cameron] se tenait à ses côtés. Ce n’était pas bon signe », dit-il.
Bref, la City est en crise et il se trouve que la Grande Bretagne dépasse les frontières de la City, ce que le référendum vient de rappeler. Mais qui sont ces « autres », ceux qui ont osé voter contre l'ordre, somme toute, nouvellement établi? Ceux qui justement ont « volé » le pays (à qui ? ce n'est pas précisé).
Et là c'est L'Express qui prend le relai, en nous expliquant que ce sont les vieux (donc ceux qui sont rétrogrades, dépassés, ne comprennent rien - je traduis) et les ratés (ceux qui ne sont pas matériellement les mieux garantis, justement les « dérégulés » et les « desmicarisés ») qui ont voté, mais ils se sont trompés. Si, si, je vous assure !
Les plus fervents partisans du Brexit sont souvent âgés et d'un milieu plus modeste que la moyenne. A l'occasion du référendum sur l'UE, ils ont cru sanctionner l'establishment. Mais leurs ennuis, et ceux du pays tout entier, ne font que commencer.
Car évidemment, la City et l'UE, qui développaient la main dans la main une politique sociale incontestable et incontestée (voyons ce qui se passe en France avec la réforme du travail initiée selon les orientations données par l'UE), donc la City et l'UE ne pourront plus maintenant défendre la veuve et l'orphelin, ce qui les rend tristes.
Ils nous prennent vraiment pour des imbéciles. Car, peut-être, ô sacrilège, justement les Anglais ne voulaient plus de ce système qui les privaient de plus en plus de leurs prérogatives démocratiques, à savoir de pouvoir faire les choix politiques pour leur pays, indépendamment des intérêts de la City et de l'Union européenne ?
Ce mouvement populaire de mécontentement n'est pas nouveau et n'est pas restreint à la Grande Bretagne. En France déjà, en 2013, les sondages étaient éloquents :
58 % estiment que l'Union européenne a un impact négatif sur la France. Elles ne sont que 19 % à estimer que l'UE a un effet positif et 9 % qu'elle n'a pas d'impact. (...) Selon ce sondage, 52 % des Français souhaitent moins d'Europe à l'avenir, contre 17 % d'un avis contraire et 18 % qui préfèrent que rien ne change.
Autrement dit, non seulement l'image est très négative, mais la volonté des gens de voir moins d'ingérence de l'UE n'a pas été respectée, la machine est lancée et s'est emballée. Pour autant, en France, nous n'avons pas lancé de référendum, le dernier de 2005 sur la soi-disant « constitution » européenne a servi de leçon au pouvoir. L'opinion du peuple est connue, ce n'est pas la peine d'insister, il faut passer outre.
En Grande Bretagne, manifestement, il reste des forces politiques capables de mettre un grain de sable dans l'engrenage. Pour autant, il y a peu de chances que cela fasse boule neige, dans un avenir proche. Tout d'abord, la Grande Bretagne a eu la sagesse de ne pas abandonner sa monnaie nationale, ensuite elle a bénéficié de toute une série d'exception lui donnant un statut particulier. Et cela a été possible justement en raison de forces politiques nationales non marginales également orientées vers la défense de l'intérêt nationale.
Mais, tout n'est pas gagné. L'UE enjoint le pays à lancer rapidement la procédure de sortie, même si cette procédure est particulièrement floue. Face à cela, les partisans de l'Union européenne se radicalisent, mettent la pression sur l'ancien maire de Londres et lancent une pétition pour faire annuler le référendum. Il y aurait déjà 850 000 signatures. Cela rappelle beaucoup le « troisième tour démocratique », non prévu par la Constitution, des élections présidentielles ukrainiennes de 2004, celles qui ont lancé le coup d'envoi à l'instabilité politique chronique du pays. Car il suffit de bafouer une seule fois les règles démocratiques, pour que la machine s'enraye. En d'autres termes, combien faudra-t-il de référendum pour obtenir le « bon » résultat?
Côté Union européenne, certes, la situation est compliquée. Nous sommes, avec le départ de l'Angleterre, à la veille de l'avènement du 4ème Reich. Mais l'Allemagne d'aujourd'hui a-t-elle les reins assez solides pour entraîner autant de boulets ? Il s'agit non seulement de ses capacités financières, mais aussi de sa force politique. Et l'on peut en douter.
Par ailleurs, l'UE ne peut pas se permettre que la sortie de l'Angleterre ne se passe trop bien, ça pourrait lancer des vocations, déjà bien présentes, même si, pour l'instant, elles manquent d'artisans pour le réaliser. Pour autant, il va être difficile de « sanctionner » la Grande Bretagne, sans risquer des revers financiers et politiques sérieux.
Nous sommes encore bien loin d'un Armageddon politique européen, mais des fissures importantes apparaissent sur un édifice dont le déficit démocratique est flagrant. Aurons-nous le courage de nous poser cette question: avons-nous réellement besoin de cette Europe-là ?

K. B.-G.

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