AVRIL 2017

La tradition biblique à l’épreuve de l’archéologie (1/2)

par François MAURICE


Des certitudes acquises depuis des siècles concernant la tradition biblique sont aujourd’hui mises à mal au regard de recherches archéologiques modernes. Des pans entiers de cette tradition sont ainsi appelés à voler en éclats et à s’interroger sur les évènements historiques qui ont influencé l’écriture de la Bible. Il pourra apparaître ensuite nécessaire de comprendre que faire de ces nouvelles données en matière de spiritualité.

Qu’est-ce que la Bible ? 

Quelle aventure nous conte-t-elle ?

La Bible débute par le jardin d’Eden, se poursuit avec Caïn et Abel, puis Noé et le déluge, pour se concentrer ensuite sur une seule famille, celle d’Abraham. 

Dieu demande à Abraham de quitter sa Mésopotamie natale pour fonder une grande nation sur la terre de Canaan.

Abraham eut un fils, Isaac. Isaac eut un fils, Jacob, père des douze tribus qui finirent malheureusement esclaves de Pharaon. Il appartiendra à Moïse de libérer ce peuple, de lui faire subir un exode pendant quarante ans au cours desquels Dieu lui donnera la loi qui devra le guider. Moïse n’entre pas en terre promise, Canaan donc. C’est Josué qui reprendra le flambeau et qui prendra les forteresses de Canaan, Jéricho étant la plus célèbre de toutes. S’ensuit alors l’édification d’un royaume immense dirigé par le roi David, puis par Salomon. La succession de Salomon se passe mal, deux royaumes distincts apparaissent, Israël au Nord et Juda au sud. Dieu punit par l’intermédiaire des assyriens le royaume impie du nord. Surtout à cause d’Achab et Jézabel. Le roi Josias, au septième siècle avant notre ère, héritier seize générations plus tard du roi David, cherchera à unifier les deux royaumes, Israël et Juda, mais finira mal lui aussi et sera vaincu par les égyptiens. 

Notre étude n’ira que jusqu’à ce point. Nous irons d’Abraham à Josias, en passant par Moïse, Josué, David et Salomon, et ce sera bien assez.

Reprenons donc chaque phase importante et observons les raisons pour lesquelles l’archéologie d’aujourd’hui réduit à l’état de fables ce que l’on croyait encore, il y a peu, être la seule histoire vécue par ce peuple extraordinaire. Le livre qui dérange est celui-ci, La Bible dévoilée1. Dans ce livre, qui n’est pas un essai mais plus exactement une sorte de compilation organisée de toutes les découvertes archéologiques de ces dernières années, les auteurs n’expriment pas leur opinion.

Depuis le dix-neuvième siècle, la connaissance des régions environnantes, Egypte d’un côté, Assyrie et Babylonie de l’autre, nous renseigne d’une manière extérieure sur l’aventure du peuple hébreu, d’autant plus que les archives de ces deux contrées sont extrêmement précises. Les égyptiens notamment conservaient quasiment tout, comme une sorte d’obsession d’archiver.


1/ Abraham

Il est bien difficile de confronter Abraham aux découvertes scientifiques, car celui-ci ne semble avoir, à ce jour, aucune existence archéologique. Rien n’a été retrouvé concernant l’histoire de ce personnage pourtant essentiel. Les seuls éléments qui ont pu être analysés sont les contradictions internes du texte et les aberrations historiques dont il fait preuve. Quelques exemples : La chronologie de la Bible fait remonter le départ d’Abraham pour Canaan aux alentours de 2100. Pour les générations ultérieures, la confusion est de taille, Moïse et Aaron y sont présentés comme les descendants de la quatrième génération de Lévi, le fils de Jacob, alors que Josué qui est leur contemporain est présenté comme étant un descendant de la douzième génération de Joseph, lui aussi fils de Jacob. Huit générations d’écart !

Autre exemple, le fait qu’à tout moment, l’aventure d’Abraham est accompagnée de chameaux. Or, il n’y a pas de chameau dans cette région à cette époque. Les chameaux n’ont été domestiqués qu’à la fin du deuxième millénaire avant notre ère, aux alentours de l’an mille donc, et non à l’époque supposée d’Abraham dix siècles plus tôt. Le texte contient même une allusion au septième siècle, temps du roi Josias, puisque la caravane de chameaux en question du temps de Joseph, fils de Jacob, transporte de la gomme adragante, du baume et du ladanum. Or le commerce de ces produits n’a été entrepris par les marchands arabes sous contrôle assyrien qu’à partir du huitième siècle avant notre ère, s’est généralisé au septième et certainement pas au vingtième siècle avant notre ère. Le texte aurait-il été écrit au septième siècle, à la cour du roi Josias ?


2/ Moïse

Pour Moïse, les choses sont plus claires, tout a été inventé. Ainsi, on ne retrouve, en premier lieu, aucune trace dans les archives égyptiennes d’un quelconque esclavage ou même d’une quelconque existence du peuple hébreu en terre d’Egypte. Alors que les contingents de travailleurs, esclaves ou non, cananéens ou non, sont répertoriés consciencieusement par les contremaîtres de chantiers, et ce à toutes les époques depuis la construction des pyramides et même auparavant, aucune trace des hébreux, aucune allusion à des plaies successives, alors même que chaque crue du Nil est précisément répertoriée, aucune allusion à une demande de départ et aucune ligne concernant un quelconque départ mouvementé d’un peuple hors des frontières de l’Egypte. Même rudimentaire auraient pu passer inaperçus. Alors que tous les mouvements de troupes ou de migrants de tous ordres sont, aux frontières, scrupuleusement recensés à partir de dix personnes, on voit mal comment plus de six mille hommes avec femmes, enfants, bétail et mobilier.

Mais supposons-le. Supposons que Pharaon, dépité et vaincu, se soit débrouillé pour faire disparaître les traces des hébreux. Après tout, ça s’est déjà produit.

Ainsi, Hatchepsout2, reine d’Egypte, avait eu l’audace de se proclamer Pharaon, c’est-à-dire roi d’Egypte. Son successeur, ulcéré par l’outrage, fit disparaître toutes les traces de cette usurpatrice de titre. Nous ne connaissons d’ailleurs cette reine que depuis peu, après avoir découvert une stèle déjà enterrée à l’époque et sur laquelle le visage d’Hatchepsout n’avait pas été raclé. Donc, supposons que le peuple hébreu se soit retrouvé dans le désert pendant quarante ans, et pour plus d’une trentaine d’années dans la ville de Cades-Barnéa.

La description de la frontière sud d’Israël au chapitre 34 des nombres ne fait aucun doute sur la localisation. Supposons aussi, comme le mentionne la Bible, que les hébreux aient séjourné à Eçyon-Gébèr, que les archéologues ont identifié par les descriptions comme se trouvant entre Eilat et Aqaba, sur la frontière moderne qui sépare Israël de la Jordanie. 

Si les israélites avaient occupé ces sites, il est clair que le passage aurait laissé des traces. Or, toutes les fouilles les plus minutieuses des régions considérées n’ont révélé aucune trace des hébreux. Pas un tesson, pas un ossement dans une région où pourtant la conservation des indices est favorisée par le climat sec. On trouve d’ailleurs beaucoup de choses, toute activité d’un groupe de plus de dix personnes qui aurait séjourné quelques mois dans la région est retrouvée. Rien concernant un peuple même si les dimensions de ce peuple ont été revues à la baisse.

Autre piste, les égyptologues confirment que les descriptions de l’Egypte supposément à l’époque de Moïse, c’est-à dire au treizième siècle, sont en fait celles du septième siècle. Les chantiers mentionnés ainsi que les routes empruntées ou évitées pour raisons de sécurité ne font aucun doute sur ce point. Le texte de l’exode n’aurait-il été écrit qu’au septième siècle avant notre ère ?


Tablette en écriture cunéiforme découverte en Mésopotamie
Ce que les archives égyptiennes indiquent, par contre, et ce que l’archéologie moderne a confirmé par des indices matériels, est que depuis 1800 avant notre ère, des migrations avaient régulièrement cours de Canaan vers l’Egypte, que ces cananéens, appelés hyksos (rois étrangers) avaient fini par s’installer dans le delta du Nil et avaient fini par exaspérer, du fait de leur réussite économique, le pharaon du moment. Vers 1600, ou 1500, la date n’est semble-t-il pas encore validée, celui-ci les attaqua, les poursuivit jusqu’en Canaan où il en tua un grand nombre. Il est donc tout à fait possible que ce fond historique, conservé dans la mémoire populaire ait servi de source à l’histoire inventée de Moïse.


3/ Josué

Admettons que l’aventure du peuple hébreu, sous la conduite de Moïse, soit une fiction, cela n’implique pas nécessairement que le reste le soit. Il est possible qu’une partie des cananéens se soit retrouvée en guerre contre une autre partie, révolution ou guerre civile, ce n’est pas parce que Moïse disparaît que Josué est forcément un fantôme. 

La conquête de Canaan eut-elle vraiment lieu ? Josué a-t-il victorieusement conquis les cités que sont Jéricho, Haçor, Aphek, Lakish et Megiddo ? Les trompettes de Jéricho ont-elles vraiment retenti ? On le crut, et les archéologues les plus sérieux eurent de purs moments de joie de pouvoir confirmer l’aventure de Josué. Les choses se gâtèrent vite cependant, citons la page entière de La bible dévoilée :


« Dans l’euphorie générale - au moment même où Josué semblait devoir remporter une nouvelle victoire - un certain nombre de contradictions troublantes apparurent. Alors que les médias du monde entier annonçaient la confirmation des conquêtes de Josué, les morceaux essentiels du puzzle archéologique cessèrent tout à coup de s’emboîter.
À commencer par Jéricho. Nous le disions plus haut, les cités de Canaan n’étaient pas fortifiées ; aucune muraille ne pouvait donc s’écrouler. Dans le cas de Jéricho, la situation est encore plus simple, car on n’y décèle pas la moindre trace d’occupation au XIIIe siècle avant JC ; l’habitat précédent, du bronze récent, date du XIVe siècle ; très modeste, pauvre, presque insignifiant, il ne comportait pas de mur d’enceinte. Il ne révèle non plus aucune trace de destruction. Par conséquent, la fameuse scène des forces israélites, massées derrière l’Arche d’alliance, en train de défiler autour des puissantes murailles, lesquelles s’écroulent quand retentissent les trompettes de guerre, se révèle n’être rien de mieux, pour parler simplement, qu’un mirage romanesque. »


La conquête de Canaan n’est donc pas une conquête fulgurante que le peuple israélite aurait réalisée grâce à l’ardeur de ses combattants et avec l’aide de Yahvé, c’est plutôt une occupation lente et graduelle qui s’est déroulée sur plus d’un siècle. Quant aux cités en question, elles furent bien détruites, mais pas par une armée constituée et guidée par Josué. L’archéologie moderne est à même d’identifier bien des causes, l’invasion de peuples étrangers, les troubles sociaux, la guerre civile, etc. Là encore, l’histoire de cette conquête telle que la Bible nous la raconte tient plus du roman que de l’histoire.


4/ David et Salomon

Là, les choses changent. On ne peut plus dire qu’on ne trouve rien, ce qui invaliderait l’histoire biblique, parce les preuves historiques sont concrètes. La terre de l’actuel Israël regorge de preuves matérielles de l’occupation par les hébreux. Et deuxièmement, l’existence historique des deux rois que furent David et Salomon ne fait aucun doute.

En fait, on peut distinguer deux périodes dans le déroulement des recherches effectuées sur le terrain. La première phase découvrit des traces, des ruines, quelque chose comme des preuves de l’occupation du terrain telle que la Bible la décrivait, notamment des ruines, au nord, qu’il fut facile d’estampiller ‘Salomon’ puisqu’elles s’accordaient avec le texte en lieu et place.

« Même si, à Jérusalem, aucune trace du temple ni du palais de Salomon n’a pu être identifiée, les savants ne manquaient pas d’autres sites à explorer. La Bible (1 R 9, 15) décrit les travaux de reconstructions entrepris par Salomon dans les cités nordistes de Megiddo, d’Haçor, de Gézér. Les fouilles de l’un de ces sites - Megiddo - entreprises par une expédition de l’oriental institute de l’université de Chicago, en 1920 et 1930, ont révélé d’impressionnants vestiges de l’âge du fer. Ils ont bien entendu été d’emblée attribués à Salomon ». Mieux encore, cette théorie se trouva confirmée par Yigael Yadin, archéologue de renom, qui à plusieurs reprises certifia avoir trouvé les preuves de l’épopée davidique et salomonique telle qu’on peut la lire dans la Bible. Ce fut la théorie la plus en vogue juste après les années soixante, la plus rassurante aussi, raison pour laquelle elle fut si vite acceptée.

Mais l’archéologie est une science ! Et même si en tant qu’individu le scientifique aimerait trouver ceci ou cela, en tant que scientifique l’individu est bien obligé d’accepter la vérité qui dérange.

Ainsi, les recherches ultérieures, celles des années quatre-vingt-dix, ont prouvé le contraire. Cette deuxième phase a eu raison des certitudes antérieures. Non seulement David et Salomon ne régnèrent pas sur un royaume unifié qui s’étendait de Jérusalem, au sud, à Haçor, au nord, mais l’influence réelle de ces deux rois dans leur contrée sudiste est elle aussi à revoir à la baisse. À l’époque du roi David, le territoire comptait au maximum quarante-cinq mille personnes dont quatre-vingt-dix pour cent vivaient au nord. « Cela laissait environ cinq mille habitants éparpillés entre Jérusalem, Hébron et une vingtaine de villages de Juda, sans compter quelques groupes épars de semi nomades ». Quel royaume !

L’archéologie de la première phase « avait antidaté d’un bon siècle les vestiges davidiques et salomoniques. » la réalité vécue est plus prosaïque, David et Salomon furent deux petits rois d’un petit royaume des hautes terres du sud, vraisemblablement aimés de leur peuple et qui sont restés dans la conscience collective comme ayant été les souverains d’un état unifié, petit, tout petit, mais unifié. Les descendants de David et Salomon ont régné quatre siècles en suivant, ce qui, dans les périodes difficiles, suffit vraisemblablement à en raviver le souvenir et en faire peu à peu une légende acceptable. 

Vestiges de la citadelle Accra et de la tour à Ir David, Jérusalem. (Crédit : Assaf Peretz/Israel Antiquities Authority)


Le dos d’une pièce en cuivre de l’époque séleucide trouvée dans la Tour de David, qui date du règne d’Antiochus IV Épiphane, le roi du récit de hanoukka. (Crédit : Musée de la Tour de David)
À partir de là deux questions se posent : premièrement, si les israélites ne viennent pas d’Egypte via le désert, d’où viennent-ils ? Et deuxièmement, qui aurait bien pu imaginer, inventer une telle saga ? L’archéologie moderne est à même de répondre à ces deux questions. 

Je vous propose donc de reparcourir à nouveau, dans le prochain numéro de « Sans Frontières » l’aventure des hébreux sur la terre de leurs ancêtres.


F.M.


1écrit par Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman. 2001 pour l’édition originale, 2002 pour l’édition française et 2007 pour le livre de Poche.

2Hatchepsout est la fille du pharaon Thoutmôsis Ier et de la Grande épouse royale Ahmès. Son époux est Thoutmôsis II, fils de Thoutmôsis Ier et d'une épouse secondaire, Moutnofret Ire. Le couple a une fille, Néférourê. Hatchepsout monte sur le trône vers 1478 av. J.-C. Elle règne conjointement avec Thoutmôsis III, le fils de son époux et d'une épouse secondaire de celui-ci, Iset. Selon l'égyptologue James Henry Breasted, elle est connue pour être la « première grande femme dont l'histoire ait gardé le nom »2. Manéthon l'appelle Amessis ou Amensis.

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