AVRIL 2018

La décolonisation française
et ses conséquences

par Alexandre WATTIN


Le 27 juin 2017 la République de Djibouti a célébrée dans l’allégresse le 40ème anniversaire de son indépendance. Qui sait aujourd’hui qu’en 1977 le président Valery Giscard d’Estaing céda la dernière petite parcelle coloniale française, qui accéda enfin à son indépendance. Séjournant à Djibouti à ce moment, il m’a semblé propice à l’occasion de cet anniversaire, de revenir brièvement sur une époque sensible de notre histoire : la décolonisation. Historiquement, Il faut retenir l’année 1992, et la fin du régime de l’apartheid en Afrique du sud, pour traditionnellement dater la fin de la décolonisation. À l’aune des crises et bouleversements économiques auxquels le monde est confronté aujourd’hui, mais est-il bien fondé de parler de fin de la décolonisation alors qu’un pays comme la Chine s’implante et supplante en Afrique les tenants d’un ancien monde ?

Le terme décolonisation désigne le processus d’émancipation des pays colonisés après la Seconde Guerre Mondiale par rapport aux métropoles colonisatrices, impliquant en général l’accès à l’indépendance pour les pays colonisés. Elle est incontestablement le phénomène qui a le plus contribué à dessiner le nouvel ordre mondial après 1945 en contribuant à mettre en place une nouvelle architecture des relations internationales, faisant dès lors une place aux nombreux États du Sud. Mais elle a surtout fortement et cruellement marquée aussi bien les anciens pays colonisateurs que les nouveaux États devenus indépendants. Jusqu’aujourd’hui, et même après tant d’années, les blessures et les rancunes sont encore tenaces. 


LE DIFFICILE RENONCEMENT DE LA MÉTROPOLE FRANÇAISE AVEC SON EMPIRE COLONIAL

La France sort très affaiblie par la Seconde Guerre Mondiale et doit faire face à une contestation progressive dans tout son empire qui débouchera dès 1945 sur un vaste mouvement d’émancipation révolutionnaire. L’attachement viscéral de la France à ses colonies est source de nombreux conflits violents. 

Très empreinte d’une idéologie puisant sa source auprès des théoriciens du 19ème siècle, s’appuyant sur un modèle administratif colonial très rigide et sur l’omniprésence de forces militaires couvrant l’ensemble des territoires, la décolonisation française s’avère très difficile voire impossible. En effet, les gouvernements français de l’époque avaient ce sentiment de l’impérieuse nécessité de ne rien abandonner de leur empire. Affermi en cela par le retrait forcé de la France de ses mandats en Syrie et au Liban en 1945.

Empire colonial français en 1945

Bien que les « indigènes » issus de ces colonies aient payé un lourd tribut à la Patrie durant les deux guerres mondiales les gouvernements n’étaient pas enclins d’accorder une quelconque autonomie aux populations autochtones. On créera une Union française qui constituera un simple habillage « d’autodétermination » où les colons conserveront la charge de l’évolution des peuples indigènes sous-représentés à l’aide de certaines élites locales « pro françaises » par le maintien de la primauté de la métropole dans les domaines économiques, politiques et sociaux. Malgré cela, le mouvement d’émancipation touchera toutes les colonies françaises par vagues successives d’Asie du sud-est aux possessions françaises en Afrique.


TENTATION D’UNE POLITIQUE DE FERMETÉ 

Des émeutes éclatent dans certaines parties de l’empire et les gouvernements français châtient durement les émeutiers comme à Sétif en Algérie dès 1945. L’Utilisation de la force continue comme à Madagascar en 1947, en Indochine et en Algérie. Malgré une répression féroce le processus de décolonisation est inéluctable. La communauté internationale s’émeut et dès les années cinquante de très nombreux pays s’accordent pour condamner violemment le colonialisme français sous toutes ses formes et exigent que soit mis en œuvre un nouveau système économique plus favorable aux pays pauvres car la colonisation et le néo colonialisme sont rendues responsables du sous-développement des pays du sud. Sans attendre, une réunion préalable réuni cinq puissances invitantes à Colombo, du 5 avril au 2 mai 1954, pour chercher, entre autres, les moyens d'accélérer la conclusion de la paix dans la colonie française d’Indochine pour établir la liste des pays à inviter à prendre part à la création d'une zone de paix fondée sur les principes de la coexistence pacifique. 

La lourde défaite militaire française de Dien Bien Phu le 7 mai 1954 marquera profondément les pourfendeurs du colonialisme et la conscience collective. Elle se concrétisera par une conférence des Nations afro-asiatiques qui se réunie du 18 au 24 avril 1955 et restera célèbre dans les livres d’histoire sous le nom de conférence de Bandung. Vingt-cinq pays, dont la Chine et la République démocratique du Viêt Nam y seront invités1. La conférence contribuera à l'accélération du processus de « décolonisation » et à l'émergence d'un nouveau groupe de pays qui feront partie du « tiers-monde » se plaçant entre le bloc communiste et le bloc occidental.


LA PRESSION INTERNATIONALE S’INTENSIFIE CONTRE LA FRANCE 

Après la crise de Suez et l’indépendance négociée pour le Maroc et Tunisie. La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 confie au gouvernement de Charles de Gaulle un mandat pour établir un projet de constitution permettant « d'organiser les rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés2 ».

La Guinée française de Sékou Touré, qui refuse la Constitution, devient indépendante dès 1958. Et dès 1960, toutes les colonies africaines lui emboîtent le pas : Madagascar, Bénin (anciennement le Dahomey), Burkina Faso (anciennement Haute-Volta), la Côte d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie, Le Niger, le Sénégal, le Togo et le Cameroun (pays sous tutelle de la France), le Tchad, le Gabon. 

C’est au sein de l’Assemblée générale de l’ONU que les représentants des mouvements pour l’indépendance vont trouver un moyen privilégié de faire entendre leurs voix et défendre les intérêts de leur peuple. L’organisation s’étant structurellement opposée à la colonisation. 

L’ONU deviendra au fil des indépendances acquises la plateforme de ces nouveaux pays car ils y disposent d’une majorité automatique.

Dans la continuité de la décolonisation, la conférence de Belgrade, réunira certains de ces pays en 1961, et posera les bases du mouvement des non-alignés qui s’affirmera comme un acteur à part entière des relations internationales et rejettera toute alliance avec une des deux grandes puissances. Malgré cela la France n’abandonnera pas l’ensemble de tous ses territoires et il faudra attendre l’année 1975 pour que les Comores et l’année 1977 pour Djibouti pour que ces deux pays accède enfin à son indépendance et devienne une République.


L’ALGÉRIE, UN CAS À PART

Dans un premier temps, Paris refuse catégoriquement d’envisager l’indépendance d’un territoire qu’elle considère comme partie intégrante de son sol national. Cependant, un an après son retour au pouvoir, le général de Gaulle évoque en 1959, le droit des Algériens à l’autodétermination. 

Dès lors les violences contre les populations musulmanes et les colons s’accentuent. Suite aux attentats perpétrés aussi bien par les rebelles du FLN que par les Français de l’OAS, le cout humain et financier finit par décourager la grande majorité de la population française en métropole qui vote en faveur de l’autodétermination de l’Algérie lors du referendum du 8 janvier 1961 suscitant la déception et la colère des 1,5 millions de pieds noirs d’Algérie3. 

Exode des français d’Algérie


FRAGILISATION DES NOUVEAUX PAYS INDÉPENDANTS

Les nouvelles institutions des ex-colonies sont fragilisées par la politique héritée des colonisateurs et en devient la première cause de déséquilibre dans les nouveaux pays. 

Importées du colonisateur français et conçues pour des États nations européens, les structures, institutions et régimes ne répondent guères ou pas du tout aux besoins de ces jeunes États pauvres en ressources humaines et matérielles. 

Dans un premier temps, la plupart des pays décolonisés ne parviennent pas à mettre en place un régime démocratique et la guerre froide encouragera les conflits inter-ethniques qui naissent immédiatement après les premières années de décolonisation.

Elles aboutissent à des guerres civiles cruelles et meurtrières où les ethnies promues par les colonisateurs s’attirent dorénavant les foudres du reste de la population une fois leurs protecteurs disparus. L’autre source de conflit majeur et le tracé irresponsable des frontières coloniales issues des traités d’après-guerre par les nations coloniales européennes ; où des lignes droites tracées sur une carte délimite des frontières sans tenir compte des populations qu’elles séparaient ou regroupaient artificiellement. Le poids des ethnies fait de la plupart de ces pays des mosaïques et la décolonisation marquera le réveil de revendications territoriales et d’ambitions régionales. 


QUELLE SOUVERAINETÉ ?

Après la décolonisation, les anciennes colonies françaises doivent réadapter toute une économie conçue pour l’exportation de produits exotiques vers la métropole française. Cependant, privés de capitaux de la métropole, qui avaient jusque-là financé les infrastructures, les nouveaux pays se trouvent dans l’incapacité de réaliser cette réorganisation et doivent se tourner vers l’aide étrangère multilatérale ou encore…vers leur ancien colonisateur.

Bien que la décolonisation ait supprimé les liens de domination politique et physique, les ex colonies restent des zones d’intervention privilégiées de leur ancienne métropole. En effet, les ex colonisateurs français souhaitent garder leur influence dans leurs anciennes possessions. 

Pour la France il est vital de maintenir des liens privilégiés avec ses anciens « fiefs ».

Des années soixante aux années quatre-vingt, la famille franco africaine est indissociable des liens coloniaux entre des dirigeants africains formés par nos universités françaises et leurs camarades de faculté … !. 

La France mute en protecteur des jeunes indépendances et se charge du rôle de gardien de l’ordre, de la sécurité dans les pays à forte plus-value économique ou stratégique, mettant en place des dispositifs militaires permanents fondés sur des accords de défense confidentiels qui donneront régulièrement lieu à des interventions armées au profit des intérêts stratégiques et économiques mais afin également d’endiguer toute velléité de révolution marxiste dans la zone d’influence francophone.

Le monde bipolaire utilisera également la décolonisation pour étendre sa sphère d’influence au sein des anciens empires coloniaux. Aussi les divisions et faiblesses au sein des sociétés africaines de certains pays seront exacerbées par les avances et pressions des deux grandes puissances qui, dans un contexte de complétion militaire et économique est ouest, mèneront le jeu jusqu’en 1989. 


LA MIGRATION POST COLONIALE

Bien qu’indépendants nombreux sont les habitants issus des anciennes colonies françaises désireux de s’installer en France. Dans un premier temps la perte de l’Algérie entrainera avant tout le retour par milliers de Français de souche le retour en métropole. Ainsi plus de 900 000 colons débarqueront sur les côtes françaises alors que les autorités françaises n’en attendaient que 250 000. Contraints d’abandonner leurs biens en Algérie et mal accueillies en France, tous connaissent des situations très difficiles. Ils seront suivis quelques années plus tard par des ressortissants du Maghreb attiré par la possibilité de venir travailler en France qui manque cruellement de main d’œuvre pendant la période des trente glorieuses. Dans la France des années cinquante, des bidonvilles se forment en région parisienne et selon une enquête de 1966, 42 % des habitants de ces bidonvilles sont des musulmans. L’afflux de ces migrants puis le regroupement familial créera durant des décennies des problèmes sociaux et des tensions palpables jusqu’à nos jours dans nos cités. 


REQUIEM POUR LA FRANCE

La décolonisation française ne pouvait se faire sans heurts et laissa des traces profondes, souvent douloureuses. Si elle a indéniablement accru le poids numérique des pays du sud ou du tiers monde au niveau des instances internationales, la décolonisation n’a cependant pas rendus ces pays plus influents sur la scène politique dominée à l’époque par les supers puissances qu’étaient les États Unis et l’URSS.

Aujourd’hui l’influence réelle ou supposée de la France sur nos anciennes colonies est encore palpable à divers degrés et selon le montant des crédits alloués… La France n’a toutefois plus les moyens de sa politique africaine. Américains et chinois se découpent le gâteau africain à renfort de projets et de milliards de dollars. Ils inondent et influent dorénavant les politiques du continent africain. La France quant à elle persiste dans le rôle de gendarme de l’Afrique, qu’aucun pays ne lui envie. Surtout pas ses partenaires européens.


A.W.


Notes :


1 Seule la Fédération d'Afrique centrale décline l'invitation.


2 Ce mandat est concrétisé par le titre XII de la Constitution française du 4 octobre 1958. Celui-ci prévoit la création d'une Communauté au sein de laquelle « les États jouissent de l'autonomie […], s'administrent eux-mêmes et gèrent démocratiquement et librement leurs propres affaires. » D'autre part, « la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière, celle des matières premières, le contrôle de la justice, l’enseignement supérieur, les communications lointaines, constitueront un domaine commun »1. Il s'agit ainsi d'une institution de nature fédérale.


3 La loi de 1968 amnistiant de plein droit toutes infractions commises en relation avec les évènements d’Algérie est révélatrice de la volonté de tourner la page sur un épisode difficile et peu glorieux de l’histoire franco algérienne.

Partager cette page

S'abonner à « Méthode »


Saisissez votre adresse mail dans l'espace ci-dessous : c'est gratuit et sans engagement

Nous contacter