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Laurence GUILLON

Auteur de la rédaction « Méthode »


Sur l'auteur

Je suis née à Valence, dans la Drôme, j’ai passé mon enfance à Annonay, dans l’Ardèche, puis à Pierrleatte dans la Drôme. Ma mère y tenait un hôtel, hérité de mon père, mort lorsque j’étais encore en bas âge. Je lisais et dessinais énormément, et me racontais des histoires. J’étais une élève irrégulière de type « peut mieux faire ». J’avais des notes triomphales en français, catastrophiques en maths. Mais j’ai eu mon bac avec mention.
Je suis partie étudier à Paris, aux Langues O, le russe. Je voulais faire du dessin, mais ma famille obnubilée par ma mention, rêvait de sciences po, de journalisme, moi je voulais apprendre le russe, sans bien comprendre ce que j’en ferais, et j’étais déstabilisée par les tragédies familiales du moment, l’ambiance sinistre des facs post-soixante huitardes, je passais tout mon temps dans une pauvre paroisse russe orthodoxe de Vanves, où j’avais épousé la foi orthodoxe à la suite de la lecture de Dostoïevski et de mon engouement pour les icônes. J’ai même appris à en faire, avec Léonid Ouspenski, malheureusement, pas assez longtemps.
Je me sentais en profond décalage avec la société où je me trouvais et ne parvenais pas à m’y insérer, j’ai donc tourné à la paumée dépressive. Un premier voyage en URSS m’avait montré la Russie sous ses couleurs soviétiques, c’est-à-dire que tout ce que je trouvais beau, intéressant et poétique avait été détruit ou disparaissait sous le béton et les slogans, et j’ai pleuré pendant huit jours, jusqu’au moment où j’ai retrouvé deux cinéastes avec lesquels j’avais fait connaissance à Paris, et qui m’ont réconfortée et guidée à travers Moscou.
Après toutes sortes d’errance, échouée dans le midi de la France, j’ai écrit un premier roman sur Ivan le Terrible, ou plutôt son favori, qui malheureusement a été publié et a eu le prix Félix Fénéon, mais je le désavoue absolument, et celui que j’ai écrit dans la foulée, qui en était la suite et qui était beaucoup mieux, n’a pas été pris par madame Gallimard du Mercure de France, et elle en a bloqué la publication chez tous les éditeurs du groupe Sodis. Je lui en ai beaucoup voulu, car j’étais complètement dans la débine, mais finalement, voulant me nuire, elle m’a plutôt rendu service : le premier roman a été oublié, et j’y vois le dessein providentiel de Dieu à mon égard.
N’ayant pas d’autre issue, je suis entrée à l’éducation nationale, ce que je ne voulais surtout pas, et j’ai connu une vraie descente aux enfers dans les écoles de banlieue. Auparavant, invitée par un de mes cinéastes russes, j’avais revu la Russie au moment de la Perestroïka, et bien que ce fut un pays absolument ruiné, on y était libre comme l’air, l’Église renaissait, les gens philosophaient dans les queues devant les magasins vides, ils étaient chaleureux, sincères, simples et pleins d’humour, je me sentais enfin à ma place, après avoir étouffé en France toute ma jeunesse, avec les soixante-huitards trotskistes. Je participai à un voyage passionnant, avec toutes sortes de personnalités, journalistes, universitaires, acteurs, députés du mossoviet, historiens « sur les traces de Radichtchev de Pétersbourg à Moscou ». Nous comparions les descriptions de Radichtchev au XVIII° siècle, avec ce que nous voyions en 1990, et la comparaison n’était pas en faveur de la Russie que nous traversions. A cette occasion, je connus mon premier contact avec le folklore russe authentique, à côté de Novgorod, et ce fut pour moi une véritable révélation, je titubais positivement de bonheur, comme si j’avais retrouvé quelque chose de profond, d’essentiel qui m’avait obscurément manqué. Je jetai dans le lac la couronne de fleurs qu’on m’avait confectionnée avec le sentiment d’épouser la Russie.
Je mis alors tout en œuvre pour aller vivre en Russie. Les Russes comme les Français avaient du mal à comprendre, mais je souffrais en banlieue en me raccrochant à deux choses : ma maîtrise de russe, que j’avais décidé de passer, et les vacances à Moscou, en attendant mieux.
Je fis la connaissance du père Valentin Asmus, mon confesseur moscovite, de son épouse communiste, avec laquelle nous avions d’incessantes disputes très pittoresques, et de leurs nombreux enfants. Cette famille devint pour moi ma famille russe. Je rencontrai aussi l’ethnomusicien Vladimir Skountsev et l’ensemble cosaque Kazatchi Kroug , dont je devins la fervente groupie. J’appris à chanter, à jouer plus ou moins de la vielle à roue russe, et me persuadai que la musique traditionnelle était l’expression naturelle de n’importe qui, dont nous avions tous été privés, un moyen de communiquer entre nous, de sublimer notre existence, de l’arracher à sa médiocrité, sa consternante banalité moderne, son irrémédiable laideur. Les fokloristes vivaient dans un autre univers, portaient de merveilleux costumes, étaient baignés par le fleuve de leurs chants séculaires, qui les rendaient perpétuellement extatiques en dépit de problèmes matériels cruciaux.
J’invitai les époux Joukovski à venir animer des séances de foklore dans ma classe de maternelle et constatai l’effet miraculeux obtenu par ces quelques moments hebdomadaires sur les enfants de mon groupe.
Ma mère étant victime d’une maladie dégénérative, je dus me résoudre à prendre ma retraite anticipée, et à aller m’occuper d’elle en France. Après sa mort, je résistai deux ans aux exhortations du père Placide Deseille, fondateur du monastère de Solan, où je me rendais régulièrement et près duquel je m’étais installée. Le père Placide me disait que s’il avait été plus jeune, il aurait fondé un monastère en Crimée pour une future émigration française, car il considérait que l’Europe était fichue, un futur Kosovo, il avait déjà l’impression d’être un prêtre orthodoxe en Turquie. Il m’invitait donc vivement à partir, tant que j’en avais la force. Et cela m’était difficile, car je regrettais la Russie mais j’aimais Solan, et le village de Cavillargues, la nature des Cévennes, j’en avais assez des déménagements, je me trouvais un peu vieille pour changer de vie. Cependant, petit à petit, avec difficultés, je repris le chemin de la Russie.
À cette occasion, je ressortis du placard mes deux romans, le publié et le non publié, et décidai de faire ce que la publication malheureuse et prématurée du premier m’avait empêchée de faire, de les refondre l’un et l’autre, de les harmoniser en une seule fresque autour du destin de Féodor Basmanov et de sa famille.
J’avais laissé dormir tout cela trente ans, et me retrouvai dans l’état de la jeune fille de seize ans qui avait conçu tout cela autrefois, comme si je n’avais rien vécu entretemps, mais avec l’expérience de la Russie, de son folklore, de l’orthodoxie. J’étais complètement dévorée par mes personnages, et je le reste encore, les deux livres à peu près terminés, deux ans plus tard.
Arrivée en Russie en octobre, par une nuit pluvieuse, avec mes chats et mon petit chien, dans une maison sans meubles, sans chauffage, sans eau et sans électricité, j’achetai le lendemain un divan pour dormir dessus et me préparai à affronter les travaux d’une part, les démarches pour obtenir un permis de séjour d’autre part et lançai mon blog « les chroniques de Pereslavl », à l’usage de mes amis et proches français réfractaires à Facebook, pour leur donner de mes nouvelles.
Aujourd’hui, je ne regrette pas d’être partie, même si la France me tient au cœur.

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