SEPTEMBRE 2018

Sergueï Dybov, un scrutateur de l’Histoire

par Olga KUKHARENKO


Sergueï Dybov est historien-chercheur. Expert de la Société historico-militaire de Russie, il étudie depuis de nombreuses années l’histoire des relations franco-russes, notamment aux époques des guerres des siècles passés. Les résultats de ses recherches sont publiés dans de multiples articles, livres et recueils scientifiques.  En France, Sergueï Dybov est président de l’association « MEMOIRE RUSSE ».

Aujourd'hui, Sergueï nous raconte son cheminement d'historien au cours des conflits ou des coopérations entre la Russie et la France.


Olga KUKHARENKO. - Sergueï, quand et pourquoi avez-vous commencé à vous intéresser à l'histoire ?

Sergueï DYBOV. - J'ai commencé à être intéressé par l'histoire dès mon enfance. A 10 ans mon livre préféré était « L’histoire de la guerre de Troie ». En ce qui concerne les relations franco-russes pendant les guerres napoléoniennes et les guerres mondiales, ce fut par une coïncidence que j’y vins. 

Ne voulant pas perdre du temps sur les livres scolaires, j’ai appris le français au travers de livres traitant de l'histoire de Napoléon. Après avoir lu quelques ouvrages, j’ai été surpris de constater que la même histoire peut être présentée de manière différente, voire très opposée, selon les auteurs. Intrigué, j’ai commencé à chercher à comprendre ce qui s’était réellement passé à cette époque.


Quelle époque vous intéresse-t-elle plus particulièrement et pourquoi ?

Les périodes de guerre où notre armée russe s’est trouvée engagée, bien entendu, à savoir, guerres napoléoniennes, première et deuxième guerres mondiales.


Où et comment faites-vous vos recherches ?

Dans les bibliothèques, les archives, en rencontrant des gens, en coopérant avec des organisations de recherche, des clubs, des associations historiques.


Travaillez-vous en collaboration avec d'autres historiens russes ou français ?

En règle générale, je ne travaille pas en collaboration. Toutefois, j’ai des contacts avec un certain nombre d'historiens du régiment Normandie-Niemen, des historiens de la Seconde Guerre mondiale, de l'époque napoléonienne, et avec des spécialistes de l’histoire du Corps Expéditionnaire Russe en France.


Quels sont les résultats principaux de vos recherches ? Les publiez-vous plutôt en Russie ou en France ? 

J’ai réussi à travailler pratiquement avec toutes les archives disponibles sur l’histoire du régiment Normandie-Niemen et la division « France » et avec des français et des soviétiques. 

Ce travail s’est matérialisé par la sortie de mon livre, publié à Moscou en 2011. 

Je suis en train de finir un livre sur les actions d’un corps volant russe pendant la campagne française en 1814 dans le Nord de la France. Et, très important aussi pour moi, j’ai rédigé une liste de soldats russes et soviétiques enterrés en France. A ce jour, elle contient 440 communes, plus que 11.000 noms, et environ 30.000 soldats inconnus.


Qu'est-ce qui vous inspire le plus dans votre travail ?

Il se trouve que les relations d’alliance entre la Russie et la France sont la base de la coexistence pacifique en Europe depuis l'époque de Napoléon. Si nous restons unis, la paix continuera de régner sur le continent. Mais, à mon avis, de nombreux aspects de cette relation dans l'histoire sont mal connus.


Arrivez-vous toujours à trouver les réponses aux énigmes historiques ? Sinon laissez-vous tomber ou préférez-vous aller jusqu'au bout ?

Malheureusement les réponses ne sont pas toujours évidentes à trouver. J’essaie de me documenter le plus possible. Mais les recherches dans les archives prennent beaucoup de temps et de nombreux documents sont dans des archives régionales, ce qui demande des déplacements assez chronophages.

Qu'est-ce qui peut déclencher telle ou telle recherche historique ? Les gens s'adressent-ils à vous avec des questions ou des demandes particulières ?

Les personnes s’intéressent généralement à la recherche de parents qui sont décédés et inhumés en France. L'année dernière, la télévision biélorusse a tourné un documentaire en deux parties sur nos soldats de la Première Guerre mondiale enterrés en France. J’ai participé à ce documentaire et des auditeurs m’ont contacté via Internet. Malheureusement, l’hébergeur de mon site a cessé de son activité. Pour le moment je n’ai pas encore trouvé de solution de rechange…


Y a-t’il une découverte historique que vous ayez faite personnellement qui vous ait particulièrement bouleversé ?

Oui. Ici, nous avons l'habitude de considérer la France comme un pays touristique. On voit rarement autre chose que d’enthousiastes clichés. Or je perçois le grand contraste entre ces stéréotypes et le sort des Français qui se sont trouvées en Russie contre leur gré pendant les deux guerres. Pourtant, parmi ces personnes qui ont connu de grandes souffrances, beaucoup ont choisi de rester à demeure en Russie. 


Quelle place occupe le fameux régiment Normandie-Niemen dans votre vie ? 

C’est une histoire légendaire que nous connaissons par le cinéma depuis notre enfance. Je ne pensais jamais qu’un jour j’aurais la chance de rencontrer des anciens de ce régiment et que j'allais participer aux activités de l'association du Mémorial Normandie-Niemen. Quand je suis arrivé en France, j’ai réussi à établir le contact avec le Mémorial qui, à l'époque, était dirigée par le général Joseph Risso. Après avoir travaillé dans les archives, étudié des documents, j’ai la sensation d’avoir touché et participé à la légende. 


Je sais qu'on vous invite en tant que conseiller historique aux tournages de films sur le régiment Normandie-Niemen. Comment cela se passe-t-il ? Êtes-vous content de cette collaboration qui vous permet sûrement de transmettre vos connaissances à un plus large publique ?

Vous parlez du projet « Anna et Marianna » ? Les réalisateurs de ce film ont « collé » au plus près aux faits historiques. Ils se sont adressés à l'Association des Anciens Combattants du régiment Normandie-Niemen à Moscou qui m'a recommandé. Malheureusement, des cas comme celui-ci sont extrêmement rares. Les cinéastes d'aujourd'hui sont souvent en décalage avec l’histoire, n’hésitant pas à la falsifier et à créer des sensations douteuses

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Sur quoi portent vos recherches en ce moment ? 

J’aimerais approfondir l'histoire de l'Armée de Condé. En effet, à l'époque de Napoléon, a existé une armée « blanche monarchique » opposée à la République française et qui a reçut le soutien de l'Empire Russe.

Cette armée a été entièrement incorporée à l’armée russe et parmi elle, de nombreux officiers français d’origine noble. C’est ainsi qu’il y eut jusqu’à quinze généraux d’origine française dans l’armée russe pendant la prise de Paris en 1814. Les Français considèrent militaires comme des traîtres et ne sont pas passionnés par cette histoire. Et pourtant, bien qu’ils considéraient Napoléon comme un usurpateur, un tyran qui avait pris le pouvoir illégalement, ils ont combattu à leur façon pour la libération de leur patrie, avec l'aide de la Russie. Par la suite, le renversement de Napoléon et la création de « La Sainte-Alliance » des pays européens par le tsar Alexandre 1er ont permis, pour la première fois dans l'histoire, de garantir la paix sur le continent européen pendant quelques décennies.

 

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Je voudrais terminer le livre sur les partisans russes en 1814, finaliser la liste des soldats russes enterrés en France, publier une réédition de mon livre « Normandie-Niemen » en Russie, et faire paraître une traduction en français.


Merci beaucoup pour cet entretien ! 

Je vous en prie...


O.K.

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