FÉVRIER-MARS 2019

Le retour des djihadistes européens est un échec majeur pour l’UE

par Olivier DAMIEN


Après l’annonce par Donald Trump du retrait des soldats américains de Syrie, la France qui se trouve, de fait, mise en demeure de rapatrier 130 à 150 djihadistes sur le territoire national, est maintenant confrontée à un imbroglio diplomatique, juridique et sécuritaire. Jusque-là détenus dans le nord de la Syrie aux mains des forces Arabo-Kurdes, l’avenir des combattants Français de l’EI fait l’objet de multiples réunions et tractations au plus haut sommet de l’État. Et c’est depuis la fin du mois de janvier que le gouvernement d’Emmanuel Macron semble avoir fait volte-face quant à sa position sur l’avenir de ces djihadistes devenus bien encombrants. En effet, d’abord tenté de les laisser juger par les tribunaux irakiens, il semblerait qu’un retour en France ne soit plus aujourd’hui totalement écarté. Désormais, quatre solutions sont donc évoquées. Premièrement, celle d’un rapatriement sur le sol français avec l’aide des États-Unis. Cette hypothèse se heurterait toutefois au refus des Américains de procéder, pendant ces opérations, à la garde des terroristes islamistes concernés. En second lieu, la mise en œuvre d’un pont aérien sous mandat de l’ONU. Mais là encore, la complexité du dispositif à mettre en place ne plaiderait pas pour cette solution. Troisièmement, une exfiltration par petits groupes, uniquement gérée par la France. Enfin, le retour à la solution irakienne. Cette dernière possibilité, qui verrait les combattants de Daech jugés par l’Irak aurait l’avantage d’arranger tout le monde. Mais les choses ne sont pas simples.
Les aspects juridiques, notamment au regard du droit international, sont compliqués du fait de la zone concernée. Le nord de la Syrie, actuellement sous le contrôle des Kurdes, risque fort, une fois le bouclier protecteur américain parti, de redevenir une zone extrêmement instable. Et rien ne dit que les combattants du Califat actuellement détenus, n’en profiteront pas pour recouvrer leur liberté et disparaître dans la nature. En ce qui concerne les aspects diplomatiques, il est évident que la plus grande confusion règne entre les États-Unis, la France, et les pays actuellement présents sur zone. La preuve en est l’ultimatum récemment adressé par le Président américain à l’adresse de la France, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne afin que ces pays prennent rapidement leurs responsabilités pour rapatrier et juger leurs ressortissants dévoyés. Mais un accord rapide au niveau européen paraît peu probable. La France, si la solution du maintien et du jugement en Irak des terroristes de l’EI et de leur familles n’est pas retenue, devra donc envisager sérieusement le retour de ces indésirables. Et cette fois-ci, les réactions pourraient bien venir de l’intérieur même du pays. Les djihadistes dont il est question ici seraient au nombre de 130 à 150 environ. 
Composés d’hommes, de femmes et d’enfants, il s’agit notamment de combattants dont certains ont pris une part très active dans les combats, en particulier ceux issus de la filière d’Artigat dirigée par Olivier Corel, de son vrai nom Abdel-Ilat Al-Dandachi, ou encore surnommé « l’émir blanc ». De même, certaines femmes auraient été fortement impliquées dans le djihad et seraient considérées comme particulièrement dangereuses à l’image d’Emilie Köning, soupçonnée d’avoir recruté pour Daech.
Olivier Corel, Souad Merah, Fabien Clain et Sabri Essid – Bordas PHOTOPQR

Il faut en effet se rappeler les motifs qui ont prévalu lors du départ de ces hommes et de ces femmes pour les zones irako-syriennes.
En particulier, la déclaration de la veuve de Coulibaly, l’un des auteurs des attentats de 2015 en France, après son arrivée au Califat : « Louange à Allah qui m’a facilité la route...c’est une bonne chose de vivre sur une terre qui est régie par les lois d’Allah. Je ressens un soulagement d’avoir accompli cette obligation » (L’hidjra ou émigration vers la terre sainte).
Hayat Boumeddiene, la veuve de Coulibaly identifiée dans une vidéo

Quant aux hommes, combattants pendant plusieurs années de l’État islamique, il y a fort à parier que leur retour comme prisonniers des « infidèles » en « terres impies » ne fera que conforter leurs convictions et contribuera à en faire des exemples, voire des martyrs, aux yeux d’une population, certes marginales, mais radicalisée qui ne demande qu’à être convertie au djihad. La problématique sécuritaire soulevée par ces rapatriements, dont on ignore, volontairement ou pas, le nombre exact est donc un véritable casse-tête pour le gouvernement, dont on mesure l’embarras à chaque fois qu’il communique sur ce sujet. En effet, la judiciarisation à l’occasion de leur retour de ces combattants du Califat ne résoudra rien sur le fond et fera, de toute manière, planer sur la France, et pour longtemps encore, une menace inacceptable. Pour cette raison, les revenants doivent être jugés par les tribunaux des pays où ils ont combattu. Les doubles nationaux doivent par ailleurs être déchus de leur nationalité française, et renvoyés avec leurs familles, à l’issue de leur peine, vers leurs pays d’origine. 
Cette affaire, en dehors du fait qu’elle démontre l’incapacité des actuels gouvernements concernés à gérer ce type de situation pourtant prévisible, prouve également une absence totale d’anticipation sur une problématique majeure concernant notre sécurité nationale. Elle acte également de l’élargissement du fossé diplomatique qui existe désormais entre la France, l’Union Européenne et les Etats-Unis d’Amérique. Ainsi le « grand frère » américain dévoile-t-il un peu plus son jeu, renvoyant le vieux continent et l’UE en particulier à ses contradictions, son manque de clairvoyance et son incapacité à exister de manière forte et lisible sur la scène internationale. Une des raisons majeures qui plaide pour une redéfinition fondamentale du modèle européen actuel.

O.D.

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