FÉVRIER 2018

Le Brocart de Science et
de Poésie d’Anatoly Livry

par Elena KOLOMIÏTSEVA


Chaque auteur se distingue par un style qui lui est propre et, pour pouvoir correctement l'analyser, il est nécessaire de disposer non seulement d'une méthode appropriée mais aussi d'instruments aussi précis que ceux d'une opération chirurgicale. Si un poète pense en images, son critique, tel est mon avis, doit suivre son exemple, d'autant plus quand il s'agit d'Anatoly Livry, un philologue aguerri et un spécialiste des lettres grecques, françaises et russes ainsi que de philosophie allemande. Cela m'oblige à considérer sa création en vers comme le travail d'un collègue universitaire et à examiner ses travaux scientifiques comme si ce docteur en littérature comparée (le titre doctoral lui a été décerné à l'Université de Nice-Sophia Antipolis) commettait ses découvertes inspiré par le Verbe poétique.
En effet, Anatoly Livry parvient à « jongler » dans une nonchalance innée avec les allusions comme le ferait un professeur de lettres rôdé par une série de séminaires. Cependant, de la part d'Anatoly Livry, il ne s'agit pas là d'une manifestation intentionnelle d'érudition, mais d'un processus créatif naturel au terme duquel il parvient à créer un tissu où se superposent dans un équilibre parfait images et couleurs, chacune plus mystérieuse que l'autre. Plus précisément, les travaux littéraires ainsi que les découvertes scientifiques d'Anatoly Livry me rappellent le brocard, cette étoffe précieuse de soie certes originaire d'Orient mais qui s'est vu perfectionnée par des maîtres en Occident, à l'image donc du parcours de ce Franco-Suisse originaire de Moscou. Semblable au ver à soie, Anatoly Livry tisse des strophes telles des fils précieux ; ses poèmes s'écoulent, laissant derrière eux de pétillantes allusions imagées obscures qui, cependant, dévoilent leur beauté cachée au lecteur philologue (qui est souvent dès lors l'un de nos collègues universitaires). Pour un tel lecteur soudainement devenu un critique académique, le titre d'un poème de Sergeï Essenine se lit, chez Anatoly Livry, avec L'Enfer de Dante ou Le Prophète de Pouchkine. Un collègue averti entendra un dialogue entre des ombres de konungar et des stratèges et philosophes hellènes. 
Les arabesques verbales d'Anatoly Livry brillent et luisent, nous donnant l'impression de pouvoir palper cette étoffe poétique, voire de sentir les minuscules bosses de ces métaphores presque oxymoriques («липкий ужас мирозданья», «треск вращения планет», etc.) qui disparaissent sous le vocabulaire quasi liturgique d'Anatoly Livry : «естество», «младенчеству», «уповай», «раденья», … Ces ornements baroques sont enrichis par des motifs antiques chez ce spécialiste de la tragédie classique : Anatoly Livry renforce ainsi la préciosité de sa création unique. 
Un songe apollinien se voit brusquement couronné par un réveil bachique qui devient, chez Anatoly Livry, un mystère quasi religieux que le poète et comparatiste né proclame comme étant son Testament.

E.K.

À propos de l'auteur : Professeur Elena Kolomiïtseva, doyenne de la faculté de journalisme de l'Institut d'État de la Culture (Moscou), docteur en philologie (2010) et en sémiotique du journalisme (2011), professeur-invité à l'Université de Krems (Autriche), à l'Université de Marbourg (Allemagne), à l'Université de Dortmund (Allemagne), à l'Université Concordia (Canada) et à l'Université de Columbia (États-Unis). 
Présentation : la version russe de cet article est parue dans la revue Российский колокол, une revue russe avec comité de lecture : Профессор Елена Коломийцева, «Парчовые стихи Анатолия Ливри », Российский колокол, Moscou, n°5-6, 2017, p. 235-236.

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